Quelques semaines après cette première rencontre professionnelle, je reçus un coup de fil surprenant : François d’Aubert souhaitait me revoir. J’imaginais qu’il voulait évoquer la suite de nos échanges autour de la recherche. Il n’en était rien.
Cette fois, il me parla de Laval, de son avenir, et surtout de mon parcours. Il voulait savoir comment j’imaginais la ville, ce que j’y voyais, ce que j’y projetais. Et puis, à ma grande stupeur, il conclut l’entretien par ces mots :
« J’aimerais que vous m’accompagniez dans l’aventure des municipales qui se préparent. »
J’en étais à dix mille années-lumière. Moi, la jeune femme arrivée en Mayenne à peine deux ans auparavant, naturalisée française seulement en 2004, je n’avais jamais mis les pieds dans une salle du conseil municipal. À ma remarque un peu paniquée — « Mais je ne sais même pas comment fonctionne un conseil municipal… » — il répondit, avec son pragmatisme habituel :
« Vous savez gérer des projets ? »
— « Oui », lui répondis-je.
— « Alors vous allez gérer des projets. Et je voudrais que vous vous occupiez de l’environnement. »
Cette dernière phrase me surprit particulièrement. En 2008, l’environnement ne pesait pas encore dans le débat public comme aujourd’hui. La cause avançait timidement, souvent reléguée derrière les priorités économiques et sociales. Pourtant, lui voyait déjà l’importance qu’elle allait prendre, et j’y étais également déjà sensible. Avec le recul, je mesure à quel point cette proposition traduisait sa vision. Il n’était pas seulement en avance sur son temps avec la réalité virtuelle : il l’était aussi sur l’écologie et les transitions à venir.
C’était à la fois déstabilisant et désarmant. Il me proposait de plonger dans un univers dont j’ignorais tout, mais il me transmettait une telle confiance que je finis par accepter. Mais j’y allais avec une idée claire en tête : si la politique ne me convenait pas, je me retirerais aussi vite que j’y étais entrée. Il en fut finalement autrement…
Ce n’est que quelques années plus tard que je lui posai la question :
« François, à l’époque je ne connaissais quasiment personne. Je suis convaincue que je n’ai apporté aucune voix à ta liste. Pourquoi m’avoir choisie ? »
Sa réponse fut désarmante de simplicité : « Je misais sur l’avenir. »
Ces mots, je ne les ai jamais oubliés.
C’est à ce moment-là que je distribuai mes premiers tracts, d’abord sur le marché de la Cathédrale, ce lieu incontournable où se croisent maraîchers, produits fermiers et habitants venus de toute la ville. Chaque papier brandi était une main tendue vers une histoire, un échange, une curiosité parfois bienveillante, parfois plus distante. J’apprenais à connaître Laval autrement : par ses quartiers, ses ruelles, ses habitants.
Je me souviens aussi d’un tract distribué à l’entrée du stade, pour présenter le projet de rénovation porté par François d’Aubert avec des entrepreneurs mayennais. Ce projet ambitieux me paraissait révélateur de sa vision : moderniser Laval sans la dénaturer, préparer l’avenir tout en respectant ses racines.
En février 2008, François d’Aubert présenta sa liste. À la surprise générale — dont la mienne — il m’annonça en deuxième position. Une place stratégique, que bien d’autres convoitaient, mais dont je ne mesurais pas encore la portée. La seule chose dont j’avais conscience, c’est que cet homme m’avait fait confiance et qu’il me fallait en être digne.
Pendant des semaines, je m’investis corps et âme dans cette campagne. Je donnais tout ce que je pouvais, avec mes propres armes, bien faibles parfois face aux codes et aux habitudes d’un monde politique encore étranger pour moi.
En mars, les résultats tombèrent. Nous perdîmes l’élection. Me voilà élue… mais dans l’opposition, sans la capacité de gérer le moindre projet, si petit soit-il. Ainsi allait la politique : imprévisible, cruelle parfois, mais terriblement formatrice.
Mes débuts en politique ressemblaient à l’apprentissage de la marche. Je tombais, je me faisais mal, mais je me relevais toujours, avec la conviction qu’un jour je finirais par marcher sans tomber. Le contraste était rude : d’un côté, mon métier, ma famille, ma vie bien remplie ; de l’autre, cette nouvelle arène politique où je me retrouvais plongée, sans boussole, face à des élus aguerris pour qui le débat public était un terrain familier. J’avais l’impression qu’on m’avait jetée dans l’océan sans m’avoir appris à nager. Je découvrais que le rôle d’élu(e) d’opposition n’avait rien de simple. Pas de projets à gérer, pas de décisions à prendre — seulement la capacité de questionner, critiquer, analyser. À chaque conseil municipal, je ressentais des crampes à l’estomac. Et une fois rentrée chez moi, les insomnies prenaient le relais. Les débats étaient rarement sereins. Je n’assistais pas à des échanges d’idées constructifs, mais souvent à des règlements de comptes, à des passes d’armes où l’on cherchait davantage à marquer un point politique qu’à faire avancer Laval. Ce monde, je le découvrais brutalement, et il ne correspondait pas à l’image idéalisée que je m’en étais faite. Pourtant, avec le recul, je sais combien cette période fut d’une richesse inestimable. Commencer par l’opposition, c’était aussi avoir le temps : celui d’observer, d’apprendre, de se tromper — sans que les conséquences ne pèsent directement sur les habitants. C’était aussi la possibilité de comprendre, par l’expérience, ce que je ne voulais pas reproduire si un jour je devais exercer des responsabilités. Une certitude grandissait en moi : je ne voulais pas faire de la politique de cette manière-là. Ni avec le goût amer des invectives, ni avec l’obsession du coup d’éclat. Je voulais croire — et je crois toujours — qu’une autre voie est possible.
Les premiers mois dans l’opposition furent ponctués par une question lancinante : avais-je vraiment ma place ici ? Je doutais de mon utilité. Les débats semblaient stériles, les rapports de force épuisants, et je me surprenais parfois à envisager de démissionner pour laisser la place à d’autres, plus expérimentés que moi. Après tout, ma vie professionnelle et ma famille suffisaient largement à combler mes journées et mes nuits déjà trop courtes.
Mais un événement vint tout bouleverser : la décision de la majorité municipale d’augmenter les impôts locaux de 30 %. Du jamais vu à Laval ! Cette ville moyenne, aux revenus médians parmi les plus bas de la région, allait subir de plein fouet une ponction brutale, justifiée par la nouvelle équipe au pouvoir comme le seul moyen d’éviter une hypothétique mise sous tutelle de la ville. On incriminait la gestion passée, on accusait François d’Aubert, et les attaques pleuvaient.
N’ayant pas été élue auparavant, je n’étais pas en mesure de juger objectivement la gestion précédente. Mais la violence des propos, leur brutalité, me poussèrent à chercher à comprendre. Je me plongeai dans les documents budgétaires, j’appris à lire un compte administratif, à décoder ce que signifiait un emprunt toxique. Et plus j’avançais, plus une conviction se formait en moi : rien, absolument rien ne justifiait un tel niveau d’imposition. C’est à ce moment précis que je pris la décision de rester, de m’accrocher. Pas par ambition personnelle, mais parce que je sentais qu’il y avait une vérité à rétablir, une pédagogie à faire, un combat à mener pour expliquer aux Lavallois qu’une autre lecture était possible.
L’année 2008 fut pour moi une année d’apprentissage intensif. Tout, absolument tout, était à comprendre, à décortiquer, à maîtriser. Mais cet effort n’était pas vain : il me donnait une légitimité nouvelle, une voix plus assurée pour porter mes arguments.
Peu à peu, je pris aussi une autre responsabilité. François d’Aubert proposa que je devienne la porte-parole de notre groupe d’opposition, aux côtés de notre chef de file, François Zocchetto. C’était une charge nouvelle, qui m’imposait discipline, clarté et courage. Porter la voix collective d’un groupe face à la majorité municipale, ce n’était pas une mince affaire pour une novice comme moi. Mais ce rôle, je l’acceptai avec la même détermination que j’avais mise dans mes combats précédents.
Avec le recul, je sais que cette fonction fut une école précieuse. Elle m’a obligée à structurer ma pensée, à clarifier mes arguments, à garder mon calme dans des débats souvent houleux. Elle m’a surtout permis de comprendre, de l’intérieur, comment fonctionne un groupe politique et comment se construit une opposition crédible. Une préparation, sans que je le sache encore, à franchir d’autres étapes bien plus décisives dans mon parcours.
L’année 2008 ne fut pas seulement celle de mes premiers pas en politique : elle marqua aussi un tournant professionnel. Cette année-là, je fus nommée directrice adjointe de l’IUT, en charge des relations avec les entreprises. Cette responsabilité me passionnait, car elle plaçait l’université en lien direct avec le monde économique. Mais le contexte n’était pas simple : la collecte de la taxe d’apprentissage, essentielle pour financer nos équipements pédagogiques, était en chute libre. Il fallait inverser la tendance, aller convaincre les entreprises, renouer la confiance.
Ce fut pour moi une formidable opportunité de découverte. J’allai, de porte en porte, à la rencontre du tissu économique mayennais. Je fus frappée par la richesse et la diversité de ces entreprises, souvent familiales, qui avaient traversé les générations en se transmettant un savoir-faire et une exigence du travail bien fait. Certaines avaient commencé modestement, dans un atelier ou un hangar, avant de devenir de véritables piliers de l’économie locale.
Ce que j’ai immédiatement noté, c’est cet état d’esprit : des entrepreneurs travailleurs, engagés, soucieux de leur territoire et de l’intérêt collectif. Cela m’a rappelé l’attitude des Oujdis que j’avais connus enfant : dignité, discrétion et fierté d’avancer à la sueur de son front.
En Mayenne, j’ai découvert une autre facette du lien entre économie et politique. Ici, les relations ne sont pas artificielles : elles vont de soi. Les élus et les entrepreneurs se connaissent, échangent, bâtissent ensemble. C’est aussi à cette époque que l’un d’entre eux, comprenant mes difficultés face à des portes qui se fermaient, me tendit la main et m’ouvrit des réseaux jusque-là inaccessibles, illustrant en cela l’esprit mayennais de bienveillance et partage.
Et les résultats suivirent : en deux ans, la collecte de la taxe d’apprentissage doubla. Ce succès n’était pas seulement une victoire comptable, mais la preuve qu’un lien de confiance avait été recréé.
Ce poste fut également l’occasion d’innover sur d’autres terrains. J’avais à cœur de transformer la journée d’intégration des étudiants en un véritable moment de fête et de convivialité. D’une simple partie de paintball, nous avons construit un événement plus ambitieux : concerts, jeux de piste à la découverte de la ville, ateliers de théâtre, compétitions sportives… Je me souviens encore de l’invitation du groupe local Archimède, avec les frères Boisnard, qui faisaient alors leurs premiers pas. Aujourd’hui, avec le parcours qu’on leur connaît, je garde une fierté particulière d’avoir contribué à faire découvrir leur talent à nos étudiants venus de toute la France.
Ces expériences résonnent encore en moi aujourd’hui, bien au-delà du cadre universitaire. Elles m’ont appris que la réussite repose sur trois ingrédients : la confiance, la créativité et la capacité à tisser des liens.
En parallèle de mes engagements professionnels et politiques, je ressentais le besoin de m’impliquer plus directement dans la vie de quartier. Pour moi, l’intégration ne pouvait pas se jouer uniquement à l’université ou au Conseil municipal : elle devait aussi s’ancrer dans le quotidien des Lavallois, au plus près des familles, des enfants, des bénévoles. C’est ainsi que, de 2008 à 2014, j’ai rejoint le bureau du comité d’animation Laval Nord-Ouest. Une expérience qui, encore aujourd’hui, reste gravée dans ma mémoire.
Je me souviens des repas de Noël, moments de chaleur et de partage où les tables se garnissaient de plats simples mais préparés avec amour, et où les sourires des enfants illuminaient la salle. Je me souviens des sorties au parc Disney, avec les yeux émerveillés des petits… et des grands, découvrant un monde féérique qui faisait oublier, l’espace d’une journée, le poids du quotidien. Je me souviens aussi des vide-greniers, qui n’étaient pas seulement des occasions de chiner, mais de véritables fêtes de quartier, où chacun pouvait échanger, discuter, rire, créer du lien. Chaque souvenir d’événement me rappelle qu’au-delà des grands discours, ce sont les rencontres humaines qui ancrent véritablement une vie dans une ville.
Ces moments m’ont également permis de mesurer la force du monde associatif mayennais. Ici, les bénévoles sont partout : dans les comités d’animation, les associations de parents d’élèves, les clubs sportifs, les structures culturelles ou caritatives. Ils sont l’âme de la vie locale, et sans eux, rien ne serait possible.
Participer à cette dynamique fut pour moi une manière d’ancrer mes pas à Laval autrement. Je n’étais plus seulement la maître de conférences venue de Lyon, ni la nouvelle élue encore inexpérimentée. J’étais aussi une voisine, une maman, une habitante impliquée dans la vie du quartier.
L’année 2008 restera sans doute l’une des plus intenses de ma vie. Une véritable « année folle » où tout semblait s’accélérer : ma carrière, mes engagements, ma vie familiale. J’avais parfois l’impression d’être projetée dans un tourbillon dont je ne maîtrisais pas toujours la vitesse, mais dont chaque instant m’apportait une leçon précieuse.
Dans l’opposition, j’apprenais, j’encaissais, je me relevais. La politique me mettait à l’épreuve, mais elle me transformait. Dans le même temps, je prenais mes fonctions de directrice adjointe de l’IUT, en charge des relations avec les entreprises, et je découvrais un territoire d’une richesse insoupçonnée. Mon implication au comité d’animation Laval Nord-Ouest me rappelait combien la force d’un territoire réside dans ses bénévoles. Les moments partagés me permettaient de garder les pieds ancrés dans le quotidien, au contact direct des Lavallois.
Mais cette année fut aussi celle d’un incident particulièrement blessant. Lors d’un tractage sur le marché de la gare, une militante de gauche s’approcha de moi pour me lancer, avec un mépris à peine voilé :
« C’est bien de faire l’Arabe de service pour la droite ? »
Ce fut un choc. La première fois qu’on assumait ne voir en moi qu’une étiquette, une origine, et rien d’autre. Et le plus brutal, c’était que cette phrase venait de la bouche d’une militante de gauche, ce courant politique que j’imaginais, dans mon idéal, être celui de l’ouverture et de la tolérance. Je compris ce jour-là que les préjugés traversent tous les bords, et qu’aucun camp n’en a le monopole.
Comme si cela ne suffisait pas, cette année folle fut aussi celle où je pris des responsabilités nouvelles au sein de mon parti. À l’automne 2008, alors que la fédération mayennaise de l’UMP préparait ses élections internes, le secrétaire national chargé du renouvellement des cadres me proposa de prendre la direction départementale. J’étais abasourdie : moi, simple militante, appelée à occuper une fonction que beaucoup auraient convoitée. J’avais répondu que je n’étais pas du genre à trahir, qu’il y avait déjà un secrétaire départemental. C’est ce jour-là que j’appris que ce dernier quittait la Mayenne pour s’installer à Paris, rendant le poste vacant.
En novembre 2008, je fus donc nommée secrétaire départementale de la Mayenne. Une première : une femme, issue de l’immigration, à la tête d’une fédération dans un département souvent perçu comme conservateur. C’était un défi immense, inattendu, mais je décidai de le relever.
2008 fut une année folle, oui. Mais ce fut aussi l’année où je compris que, parfois, la vie nous pousse plus vite que nous ne l’aurions choisi. Elle nous met face à des épreuves, des préjugés, des responsabilités qu’on ne s’imaginait pas endosser. Mais elle offre aussi des mains tendues, des opportunités, des victoires inattendues. Une année où j’appris que tout, absolument tout, peut s’entrelacer dans une même vie : la douleur, la colère, la fatigue… mais aussi l’élan, la reconnaissance et l’espérance.
Quelques mois plus tard, en 2009, une nouvelle campagne commença : celle des élections européennes. Pour la première fois, j’en avais la pleine responsabilité en tant que secrétaire départementale. Tout était à apprendre : organiser des réunions, coordonner les militants, mobiliser les sympathisants. J’avançais pas à pas, avec la curiosité et la soif d’apprendre comme seules armes.
Et pourtant, dans ce tourbillon politique, je n’ai jamais cessé d’aimer et de défendre mon métier. L’enseignement et la recherche restaient mon ancrage, ma respiration, mon autre passion. Préparer mes cours, accompagner mes étudiants, poursuivre mes projets de recherche… Tout cela représentait pour moi autant de responsabilités essentielles que je ne voulais pas sacrifier. En outre, les compétences que j’avais acquises à l’université m’aidaient dans mon engagement politique : la capacité à vulgariser des sujets complexes, bâtir un raisonnement solide, gérer un projet collectif. Quand la politique m’apprenait à agir vite, décider et convaincre tout en m’ancrant dans une réalité sociale et humaine concrète, l’université m’apprenait la rigueur, la patience et la transmission. Jongler entre ces deux vies, qui d’une certaine manière se répondaient, fut un véritable défi, mais aussi une source d’équilibre. Rien n’était cloisonné : chaque domaine enrichissait l’autre, dessinant peu à peu une cohérence inattendue.
Cette même année, ma vie personnelle prit un tournant merveilleux : en décembre 2009, je donnai naissance à ma troisième fille. Elle aura connu l’engagement dès le ventre de sa mère. Je me revois encore, enchaînant les réunions et les distributions de tracts avec ce ventre arrondi, comme un symbole vivant de cette existence multiple que je menais désormais : mère et militante, enseignant-chercheur et responsable politique.
Ce fut une période exigeante, parfois éreintante, mais où chaque instant semblait compter double. Mes enfants m’apprenaient la patience et l’humilité, la politique m’offrait l’opportunité de grandir autrement, et mon métier m’ancrait dans une mission plus vaste de transmission et de connaissance. Trois vies en parallèle, qu’il fallait faire dialoguer sans jamais renoncer à aucune.
Deux mois à peine après l’élection de Xavier Bertrand à la tête de l’UMP, en janvier 2009, je reçus un appel qui allait une fois encore changer le cours de mon engagement. La voix à l’autre bout du fil m’annonça :
« Madame Soultani, Xavier Bertrand est en train de constituer son équipe de secrétaires nationaux, et il voudrait que vous ayez en charge la Parité et l'Égalité des chances. »
J’avoue que ma première réaction fut de croire à un canular. Comment imaginer que moi, simple militante engagée depuis si peu de temps, puisse être appelée à une telle responsabilité nationale ? Mais ce n’était pas une plaisanterie. Comme souvent dans mon parcours, je répondis « oui ». Dire oui, ce n’était pas céder à une ambition personnelle — je n’avais jamais rêvé d’un tel poste — mais c’était une manière d’assouvir ma soif de comprendre, de nourrir ma curiosité, d’explorer davantage ce monde politique qui m’était encore si étranger. Refuser, ç’aurait été me condamner à l’ignorance. Accepter, c’était plonger dans l’inconnu, avec l’assurance que, quoi qu’il en résulte, j’y apprendrais quelque chose. À partir de ce moment, une nouvelle page s’écrivit. J’intégrai le bureau politique de mon parti, ce lieu où tout — ou presque — se décidait. J’y rencontrai des personnalités inspirantes, des esprits brillants, des caractères bien trempés. Je n’avais pas la prétention de rivaliser, mais j’observais, j’écoutais, j’apprenais. Paris, c’était un autre monde. En arrivant dans ces salons feutrés, là où se discutaient les grandes orientations, je me sentais comme une passagère que l’on n’attend pas. Moi, issue d’Oujda, passée par Tunis, Nancy, Lyon puis Laval, je me retrouvais dans le cœur battant de la politique nationale. Le contraste était saisissant. À Laval, les débats se tenaient dans les salles municipales, les marchés, les associations ; à Paris, c’était l’agitation des couloirs, les mots choisis avec une précision chirurgicale, les regards pesés. Et puis, je découvrais une autre France. Celle qui s’assumait diverse. Nicolas Sarkozy avait osé ouvrir la porte à des profils nouveaux, venus de tous horizons. C’était une première, presque une audace. J’avais conscience d’être l’une de ces « nouvelles voix » qu’il voulait voir émerger. Je ne représentais que moi-même, mais symboliquement, cela voulait dire beaucoup : oui, il était possible de venir d’Oujda, de Laval, d’un parcours universitaire, et de se retrouver dans une salle où se jouaient des choix nationaux. Je n’oublierai jamais mes premières réunions du bureau politique. Je me souviens du silence impressionnant lorsqu’une personnalité prenait la parole, de la densité des échanges, de l’art de manier la langue française avec une aisance que je trouvais fascinante. Tout semblait codé, et je devais apprendre très vite à en déchiffrer les usages. Moi qui, un an plus tôt, me sentais jetée dans l’océan sans savoir nager, je découvrais peu à peu que je pouvais garder la tête hors de l’eau. Je décodais ce langage, je m’habituais aux joutes verbales, je comprenais la mécanique interne d’un parti national. Chaque réunion était une leçon, chaque rencontre un enrichissement. Je n’avais rien cherché de tout cela. Je n’avais candidaté à aucun de ces postes. Mais j’avais dit « oui » aux opportunités qui se présentaient, et ce chemin, qui semblait se tracer presque tout seul, devenait le mien. Certains parleront de destin, d’autres de hasard, mais je préfère penser que la vie est faite de morceaux de puzzle qui s’assemblent au fur et à mesure. Chaque rencontre offre une opportunité de devenir meilleure ; et se jeter dans l’inconnu n’est finalement pas si grave, si l’on sait pourquoi on le fait.
Le 14 juillet 2008, comme beaucoup de Français, je me trouvais sur les Champs-Élysées pour assister au défilé militaire et au passage du Président de la République. Lorsque je l’aperçus, le temps d’un battement de cil, une idée improbable traversa mon esprit : « Un jour, Monsieur le Président, je vous serrerai la main. »
Je n’y attachai pas plus d’importance sur le moment. C’était un souhait presque inconscient, un de ces élans que l’on range aussitôt dans un coin de sa mémoire, tant il paraît irréalisable.
Un an plus tard, jour pour jour, j’étais invitée à l’Élysée avec d’autres cadres de l’UMP. Et ce qui me semblait impensable devint réalité : je serrai la main de Nicolas Sarkozy, Président de la République française. Ce geste, en apparence banal, avait pour moi une portée immense. Moi qui, cinq ans plus tôt, avais reçu ma lettre de naturalisation signée de Jacques Chirac, je mesurais tout le chemin parcouru.
En me retrouvant à l’Élysée ce 14 juillet 2009, j’eus un instant de rétrospection émue : de la petite fille d’Oujda à la femme qui pouvait échanger avec les plus hauts responsables de l’État français, il y avait là un parcours improbable mais bien réel. Ce n’était pas une victoire personnelle, mais la preuve éclatante que la République, avec ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, pouvait donner une place à chacun, quelle que soit son origine.
Ce jour-là, serrer la main du Président n’était pas seulement un honneur. C’était une confirmation : j’appartenais pleinement à ce pays, et il me le disait dans ses symboles les plus forts.
La France est un pays où les élections rythment presque chaque année la vie publique. J’y ai vu une formidable occasion de me confronter à l’épreuve des campagnes : une élection départementale, puis une régionale, jusqu’au défi ultime des législatives de 2012.
Cette élection avait une résonance particulière pour moi. Cinq ans plus tôt, elle avait marqué le début de la fin de plusieurs décennies d’engagement de François d’Aubert. Me présenter, c’était une façon de lui rendre hommage, mais aussi de découvrir davantage la Mayenne, au-delà de ma seule expérience d’élue d’opposition à Laval. Quelle aventure ! Ce fut une nouvelle leçon, une plongée dans l’âme de ce département, à la rencontre de ses habitants et notamment de ses agriculteurs, attachés à leur terre et défenseurs de valeurs qui me rappelaient d’où je venais.
Et justement, avant de me consacrer à la campagne législative de 2012, je ressentis le besoin impérieux de revenir à mes racines. C’est ainsi qu’avec ma mère, nous entreprîmes un voyage à Oujda. Ce fut une sorte de pèlerinage, une traversée intime de la mémoire familiale. Je retournai pour la première fois dans la maison modeste qui m’avait vue naître, nichée dans un quartier populaire où les enfants couraient pieds nus dans les flaques laissées par la pluie, au milieu des trous des routes mal entretenues.
Nous avons poursuivi notre chemin par Bab El Ouaheb, cette porte symbolique qui avait vu passer tant de générations, et par les retrouvailles avec la famille, proche et lointaine. Chaque visage, chaque sourire me renvoyait une part de moi-même.
L’étape la plus mémorable fut sans doute le cimetière, où repose ma grand-mère maternelle, partie à seulement 27 ans. Ma mère, qui n’avait que cinq ans à sa mort, n’en avait gardé qu’une douleur vive et des souvenirs fragmentés. Elle ne savait qu’approximativement où se trouvait sa sépulture, seulement identifiée par une pierre banale parmi tant d’autres. Je la vis errer entre les allées, scrutant chaque recoin, chaque indice, avec une intensité poignante. Je me souviens de son visage crispé par la peine, comme si l’orpheline en elle, toujours présente malgré les années, refaisait surface. Pendant de longues minutes, elle chercha désespérément. Et puis, soudain, son regard s’illumina. Un sourire discret, fragile mais authentique, se dessina sur son visage lorsqu’elle retrouva enfin la pierre qu’elle croyait être celle de sa mère. Ce fut un instant suspendu, entre larmes et soulagement. En voyant ma mère ainsi, j’ai compris combien cette quête dépassait le simple fait de localiser une tombe : c’était une manière pour elle de renouer avec la présence de sa propre mère, et pour moi de ressentir toute la profondeur des traumatismes transmis de génération en génération.
Et puis, il y eut ce moment d’une intensité particulière : la visite à mon grand-père paternel, disparu quelques années plus tôt. Face à sa tombe, je ressentis une gratitude infinie. Je lui murmurai qu’il pouvait être fier : une partie de la femme que j’étais devenue, je la lui devais.
En quittant le cimetière, cette image de ma mère retrouvant la pierre de sa propre mère resta gravée en moi. Sa recherche hésitante, presque désespérée, suivie de ce sourire fragile mais lumineux, résonnait comme une métaphore de notre histoire familiale : malgré les pertes, malgré les blessures, il y a toujours une force qui renaît, une énergie qui se transmet.
C’est cela que je suis venue chercher à Oujda : la mémoire, la continuité, l’assurance que nos racines sont plus fortes que les tempêtes. Ce retour aux origines ne fut pas un simple voyage, mais un ressourcement profond, une manière de me réancrer avant l’épreuve.
Lorsque je repris l’avion pour la France, je savais que la campagne qui m’attendait serait rude, mais je portais désormais en moi cette certitude : tant que je n’oublierais pas d’où je venais, je trouverais toujours la force d’avancer.
Je rentrai de ce voyage à Oujda avec une énergie nouvelle. Comme si mes ancêtres, ma grand-mère retrouvée et mon grand-père bâtisseur, m’avaient transmis la force nécessaire pour affronter la bataille qui m’attendait. Je pressentais que cette campagne allait être rude. Elle fut en fait une véritable épreuve du feu, au-delà de tout ce que j’avais imaginé. C’était à la fois un honneur et une lourde responsabilité que de représenter ma famille politique dans une circonscription où l’histoire récente avait été marquée par la défaite de François d’Aubert. Je le faisais avec un sentiment de dette et de loyauté, mais aussi avec l’envie de découvrir la Mayenne autrement qu’à travers le seul prisme lavallois. Chaque déplacement me rapprochait des réalités profondes de ce département. Je découvris la Mayenne au plus près : ses villages, ses habitants, leur franchise, leurs espoirs.
Cette campagne fut aussi d’une brutalité inouïe. J’y fis l’expérience de mes premières attaques personnelles, souvent sourdes, parfois frontales. Un candidat dissident, frustré de ne pas avoir obtenu l’investiture, choisit de me désigner comme sa cible privilégiée. Il ne prononçait pas mon nom, mais me surnommait « l’Arabe », réduisant mon parcours à une origine. Il alla jusqu’à insinuer, de façon abjecte, un rapprochement entre mes initiales SS et les heures les plus sombres de l’Histoire.
Je découvris alors ce que signifiait véritablement être exposée. Pendant cette même campagne, je reçus mon premier courrier anonyme. Quelques phrases haineuses écrites à la va-vite : « Rentrez chez vous. Laissez la Mayenne aux Mayennais. » Le choc fut tel que je déchirai la lettre aussitôt, comme pour convaincre mon esprit qu’elle n’avait jamais existé. Mais la blessure, elle, resta bien réelle.
Je me souviens aussi d’un conseil reçu d’un journaliste, au début de la campagne. Il me suggéra de ne garder que mon nom marital, Vigneron, et de laisser de côté Soultani. « Ce sera plus simple », me dit-il. Mais ce n’était pas envisageable. J’étais autant l’une que l’autre. Ce que j’étais devenue, je le devais autant au Maroc qu’à la France. Retrancher l’un de mes noms aurait non seulement été une mutilation de mon histoire, mais aussi une trahison à l’égard des électeurs, auxquels j’aurais dissimulé une part de moi-même.
Comme si cela ne suffisait pas, un autre combat se jouait en coulisse : celui de ma mère, que j’accueillais alors chez moi. Sa santé mentale déclinait inexorablement. Chaque jour, je mesurais un peu plus mon impuissance à soulager ses tourments. Cette douleur intime, mêlée à la brutalité publique de la campagne, me laissait parfois épuisée. Mais je continuais.
Je passai le premier tour, un cap qui fut déjà une victoire en soi. Affronter le sortant au second tour était plus qu’un symbole : c’était pour moi la preuve que ma candidature et mes valeurs avaient trouvé un écho, que mes paroles avaient résonné au-delà des cercles habituels et que je commençais à construire une relation de confiance avec les Mayennais.
Au soir du second tour, le verdict tomba : je perdis l’élection, mais avec un score honorable de 41,5 % face au député sortant, dans un contexte national où la droite avait perdu les législatives. Ce résultat, bien que synonyme de défaite, fut pour moi une forme de victoire. J’eus une pensée émue pour tous ces Mayennais qui m’avaient accordé leur confiance, moi qui n’étais arrivée dans le département que quelques années plus tôt.
Cette campagne n’était pas une fin, mais un commencement. Je ne fus pas élue, mais j’en sortis plus lucide, plus ancrée, et convaincue que chaque combat, même perdu, prépare les victoires de demain. Car au-delà des chiffres et des urnes, quelque chose d’essentiel était né : un lien de confiance et de fidélité entre la Mayenne et moi.
Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.
Albert CAMUS
L’année 2013 fut pour moi un hiver. Un hiver long, glacé, qui semblait ne jamais vouloir s’achever. Le 18 février, le jour même de mon anniversaire, ma mère prit la décision de nous quitter. Rien ne m’avait préparée à une telle épreuve.
Cette date est gravée en moi. Comment fêter la vie quand on est frappée par la disparition d’un être si cher ? Comment faire pour sourire quand le cœur est autant meurtri ? Pendant des mois, je me suis réveillée chaque matin avec un poids insupportable, une douleur qui ne voulait pas s’effacer, une colère sourde mêlée à une immense tristesse. Le deuil n’est pas un chemin linéaire. C’est une succession de vagues qui submergent.
J’avais perdu plus qu’une mère : j’avais perdu une partie de mon histoire, un repère, une source d’amour imparfaite mais fondatrice. Ma mère, avec toutes ses fêlures, ses excès, ses déséquilibres, était celle qui m’avait transmis le goût de l’école, la conviction que ses filles devaient aller aussi loin que possible. Elle m’avait appris, à sa manière, à me battre. Son absence me laissait un vide, mais aussi un héritage : celui de ne jamais céder, de ne jamais renoncer.
Durant ces mois, j’ai connu le silence intérieur, l’impuissance, l’impression de ne plus avancer. Mais un jour, en me sentant sombrer, une pensée s’imposa à moi : « Ce n’est pas ce qu’elle aurait voulu ». Je décidai alors de mettre toutes ces émotions au service des Lavallois. Et ce choix, je l’ai fait en pensant à elle, pour lui rendre hommage.
Néanmoins, cette douleur m’accompagnait partout, jusque dans les réunions, jusque dans les rues de Laval où je rencontrais les habitants. Mais au lieu de m’écraser, elle se transformait en énergie. Chaque porte à laquelle je frappais, chaque main que je serrais, chaque sourire que je recevais en retour devenait une manière de conjurer la peine. Tout cela me rappelait qu’il y a plus grand que soi : il y a une ville, une communauté, un destin collectif à écrire.
La campagne municipale qui débutait en 2013 aurait pu sembler secondaire face au deuil. Elle fut au contraire ma respiration. Je me souviens de soirées entières passées à préparer des tracts, à discuter du programme, à marcher dans le froid de l’hiver. Ces moments, qui pour beaucoup sont de simples étapes d’une campagne, furent pour moi des bouées de sauvetage. Cette campagne fut donc bien plus qu’un rendez-vous électoral. Je m’y suis consacrée entièrement, comme si chaque effort me rapprochait un peu plus de la lumière après cet hiver intérieur.
À ce combat intime se superposa un autre défi, public cette fois. En novembre 2013, alors que nous étions en pleine préparation des élections municipales, je fus élue présidente de la fédération départementale de mon parti. Jusqu’ici, mes responsabilités m’avaient toujours été confiées par nomination ; cette fois, ce furent les militants qui m’accordèrent leur confiance, par leur vote.
Ce moment fut déterminant. Parce que, dans une période où je doutais encore de mes forces, je me sentis portée par cette reconnaissance. Comme si les militants, par leur adhésion, m’avaient redonné une légitimité que le deuil avait fragilisée. Cette élection interne m’a insufflé une énergie nouvelle. Elle est venue s’ajouter à la dynamique de la campagne municipale, me rappelant que l’engagement politique n’est jamais une affaire solitaire, mais toujours une aventure collective.
Au fond, c’était une manière de réapprendre à avancer. La douleur de la perte de ma mère était encore vive, mais je n’étais plus seule à porter le poids de mes choix : derrière moi, il y avait une équipe, des militants, des Lavallois.
Être élue présidente de la fédération n’était pas seulement un titre. Cette reconnaissance des militants était une responsabilité supplémentaire, un signal fort envoyé aux Lavallois : je n’étais plus seulement une élue d’opposition, mais une femme à qui l’on faisait confiance pour organiser, fédérer, préparer les échéances.
Fortifiée par cette réussite interne, je me lançai dans la dernière ligne droite de la campagne municipale de 2014. J’étais en deuxième position sur la liste menée par François Zocchetto. Au-delà du programme que nous défendions, ce binôme improbable avait quelque chose de singulier qui séduisait les Lavallois : lui, enraciné depuis toujours dans sa ville ; moi, Mayennaise d’adoption depuis 2005 seulement. Deux parcours, deux personnalités, deux histoires qui semblaient aux antipodes et qui pourtant se complétaient. Les journalistes s’amusaient à nous qualifier « d’eau et de feu ». Cette formule nous faisait sourire, mais elle traduisait une réalité : la complicité et la complémentarité que nous incarnions. François apportait son expérience, sa connaissance fine du territoire, sa stature politique. J’apportais l’énergie d’un nouveau regard, une proximité avec les habitants forgée au fil des rencontres, et peut-être aussi une certaine fraîcheur dans le paysage politique lavallois. Cette alchimie fonctionnait, et les Lavallois, au-delà des clivages partisans, se laissaient séduire par ce duo qui reposait sur une rencontre humaine et une volonté commune de servir.
La campagne de 2014 fut l’une des plus intenses de ma vie. Jour après jour, nous allions à la rencontre des Lavallois : sur les marchés, sur les places, dans les quartiers. J’aimais ces moments où la politique redevenait ce qu’elle ne devrait jamais cesser d’être : une conversation directe, simple, sans artifice, entre des élus et leurs concitoyens.
Je me souviens du marché de la place de la Cathédrale, où les maraîchers et producteurs locaux, avec leur franc-parler, nous interpellaient sans détour : « Et concrètement, qu’est-ce que vous allez changer ? ». Ou encore du marché de la gare, plus populaire, où les rencontres prenaient parfois la forme de confidences, les Lavallois livrant leurs inquiétudes, leurs doléances mais aussi leurs espoirs.
Il y avait aussi ces réunions publiques, modestes mais chaleureuses, où des dizaines de personnes nous rejoignaient dans des salles municipales, curieuses de comprendre notre projet. Chaque fois, je mesurais à quel point le lien de confiance se construisait patiemment, dans l’écoute et la sincérité.
La campagne avait aussi ses moments plus difficiles, quand la fatigue se faisait sentir, quand le découragement guettait. Mais l’énergie des Lavallois, leur bienveillance, leur désir de renouveau nous portaient. Cette effervescence nous faisait oublier les heures tardives passées à préparer les interventions, les tracts, les argumentaires.
Il y avait enfin cette atmosphère particulière, faite de ferveur et d’incertitude, qui précède toujours les grands rendez-vous démocratiques. Laval bruissait de discussions, les Lavallois s’interrogeaient, débattaient, se projetaient. Nous sentions qu’un basculement était possible, mais rien n’était acquis.
Le soir du second tour, la salle polyvalente vibrait. Des centaines de Lavallois s’étaient rassemblés pour vivre avec nous ce moment décisif. L’attente était longue, lourde, presque insoutenable. Chacun retenait son souffle, scrutant le moindre signe.
Enfin, les résultats tombèrent : la victoire était là. Une vague de joie et de soulagement déferla dans la salle. Les applaudissements, les cris et les embrassades se confondaient dans une même énergie. Je me souviens de ces visages rayonnants, de ces mains serrées à la chaîne, de cette ferveur partagée. Les Lavallois étaient heureux pour nous, et nous l’étions pour eux et avec eux. Une communion rare, authentique.
Lorsque François et moi avons rejoint l’estrade, j’ai croisé son regard. Dans le brouhaha des acclamations, il s’est penché vers moi et m’a soufflé une phrase que je n’oublierai jamais : « Samia, savoure pleinement ce moment, car tu ne le vivras peut-être qu’une fois dans ta vie ». J’ai gravé ces mots dans ma mémoire. Ils résonnent encore aujourd’hui, comme un rappel de l’intensité et de la rareté de ces instants.
Au fond de moi, derrière les sourires et l’émotion, une pensée intime m’accompagnait. Toute cette campagne, je l’avais menée avec ma mère en filigrane. Son absence et son choix brutal de partir m'avaient meurtrie, mais aussi portée. Ce soir-là, au milieu des Lavallois en liesse, je lui dédiais silencieusement cette victoire.
Cette soirée ne fut pas seulement une étape politique. Elle fut un tournant personnel, une renaissance. Je mesurais que les Lavallois, par leur soutien, m’avaient permis de transformer la douleur en force, et le deuil en avenir.
La victoire à peine acquise, il nous fallait répondre sans délai à l’attente des Lavallois. La toute première promesse tenue fut la baisse des impôts locaux. Après des années de fardeau fiscal imposé injustement aux habitants, il était essentiel de leur redonner un peu d’air. Ce geste n’était pas seulement financier : il symbolisait un changement profond de cap, une volonté de replacer le Lavallois au centre de l’action publique.
J’avais été élue première adjointe. Ce titre représentait pour moi la véritable possibilité d’agir. Pendant six ans, j’avais observé, appris, souvent subi la frustration d’être dans l’opposition. Désormais, j’étais en responsabilité. Et avec cette fonction, je ressentais un appétit immense : celui de faire honneur à cette confiance que les habitants venaient de nous accorder.
Mon engagement s’est vite traduit par une pluralité de missions, toutes aussi exigeantes que passionnantes. Je pris en charge la jeunesse : je voulais qu’elle reprenne confiance en elle, qu’elle se sente reconnue et considérée. Ma conviction était que les jeunes Lavallois avaient autant besoin de lieux que d’écoute, de perspectives que de symboles.
Je voulais que les habitants cessent d’être de simples spectateurs des décisions municipales. J’avais à cœur qu’ils deviennent acteurs de leur quartier et de leur ville. C’est ainsi que je développai une politique de participation citoyenne, grâce à des dispositifs qui donnaient une place à chacun : les jeudis citoyens, les projets collaboratifs, les ateliers de la cité, les balades urbaines, les référents de quartier, la journée citoyenne. Chacun de ces outils visait à rapprocher la décision des habitants, et tous rencontrèrent leur public.
Je voulais redonner vie au cœur battant de Laval : son centre-ville et ses commerces. Ce n’était pas seulement une question économique. Il s’agissait aussi d’identité, de vitalité, de convivialité. En l’animant, c’était le lien social que l’on ravivait.
Je voulais aussi que les quartiers, parfois délaissés, deviennent le cœur de l’action municipale. J’ai donc pris en charge la politique de la ville et le Programme de Rénovation Urbaine (PRU), persuadée qu’aucun habitant ne devait être laissé de côté et qu’aucun quartier ne devait être oublié.
Je voulais que chacun trouve sa place à Laval par le travail. C’est pourquoi je me suis impliquée dans l’emploi et l’insertion à l’agglomération, convaincue que le travail demeure le premier levier d’émancipation et de dignité.
Enfin, je voulais que l’économie nourrisse véritablement notre territoire et que la ville puisse porter des projets ambitieux. C’est ainsi que j’ai accepté la présidence de la société d’économie mixte Laval Mayenne Aménagement (LMA), pour insuffler une dynamique nouvelle et préparer l’avenir.
Une fierté me reste particulièrement en mémoire : un projet des jeunes du quartier du Pavement. Ils avaient une idée simple mais ambitieuse : construire un fitpark, un espace de sport en plein air accessible à tous. Je voulais que ce projet soit le leur, et non celui d’une municipalité qui se contente d’apporter un financement. Alors je les ai encouragés à prendre les choses en main : ils ont monté eux-mêmes leurs dossiers de sponsoring, rencontré des partenaires, présenté leur idée. J’ai mis à leur disposition mon réseau, les ai accompagnés tout au long du processus, avec un seul objectif qui nous était commun : que le projet aboutisse. Et au-delà de la réalisation concrète de cet équipement, ce qui comptait, c’était la prise de conscience : ils pouvaient réussir. Ils avaient les capacités, l’énergie, l’intelligence collective pour transformer une idée en réalité.
Dix ans plus tard, lorsque je passe à proximité de ce fitpark, je ressens la même émotion en voyant les jeunes — parfois devenus parents depuis — en prendre soin comme de leur propriété. C’est la preuve que la confiance donnée à une jeunesse souvent stigmatisée peut se révéler le plus beau des paris.
Au fil des années, les projets collaboratifs se sont multipliés dans tous les quartiers de Laval, et une cérémonie annuelle venait couronner ces initiatives citoyennes. Les habitants présentaient leurs projets, et des prix étaient attribués pour valoriser leur engagement. Mais plus que la récompense matérielle, ce qui comptait, c’était la reconnaissance symbolique.
Je me souviens d’un Lavallois d’une quarantaine d’années qui était venu me voir à l’issue d’une de ces cérémonies. Il tenait dans ses mains le diplôme de reconnaissance de la collectivité que nous lui avions remis. Il me glissa : « C’est mon premier diplôme ». Je remarquai alors les larmes qui perlaient au coin de ses yeux. Son émotion me bouleversa. La politique peut parfois sembler faite de grands mots, mais elle prend tout son sens lorsqu’elle touche directement la dignité et l’estime de soi des habitants.
Transformer les quartiers, réconcilier la ville avec elle-même…
Parmi mes missions, la politique de la ville occupait une place particulière. Les quartiers populaires ne devaient plus être considérés comme des espaces relégués, mais comme des lieux de vie et de fierté pour leurs habitants, et plus largement pour tous les Lavallois.
Nous avons d’abord travaillé à boucler les financements pour terminer le Programme de Rénovation Urbaine (PRU) des Pommeraies. Je voulais que ce quartier, longtemps stigmatisé, devienne une source de fierté. Et il l’est devenu. Aujourd’hui, il rayonne avec une Licorne installée dans un bâtiment à l’architecture exceptionnelle, un cabinet médical, et de nouveaux services qui se sont développés peu à peu. Chaque pierre posée, chaque service ouvert était une victoire pour les habitants.
Mais il fallait aller plus loin. Nous avons donc engagé un nouveau PRU, celui du quartier Saint-Nicolas. Ce n’était pas seulement une question d’urbanisme : il s’agissait de changer le regard porté sur ces quartiers, de les reconnecter à l’ensemble de la ville, et surtout de donner à leurs habitants la conviction qu’ils avaient toute leur place à Laval.
L’emploi et l’insertion : ouvrir des portes
Je voulais que chacun trouve sa place dans notre ville, et cela passait d’abord par l’accès au travail. Laval avait besoin d’un dispositif plus ambitieux que la traditionnelle journée de job dating, trop courte et trop limitée pour répondre à la diversité des parcours. J’ai donc lancé la Semaine Laval emploi. Pendant plusieurs jours, entreprises, organismes de formation, structures d’insertion et associations se retrouvaient pour offrir aux Lavallois une large palette d’opportunités : emplois, stages, reconversions, accompagnement personnalisé. Cette semaine devenait un rendez-vous incontournable, non seulement pour ceux qui cherchaient un emploi, mais aussi pour ceux qui souhaitaient changer de voie ou simplement mieux comprendre le monde du travail. Derrière ce dispositif, mon objectif était clair : redonner confiance à celles et ceux qui doutaient, créer des passerelles entre des univers qui s’ignoraient parfois, et faire de la ville et de son agglomération un acteur à part entière de l’insertion professionnelle.
Les Chantiers d’avenir : tendre la main aux jeunes cabossés
Au-delà de la Semaine Laval emploi, je voulais que la ville s’adresse aussi à ceux qui semblaient oubliés par le système : les jeunes cabossés, ceux qui avaient perdu confiance, baissé les bras, parfois même cessé d’espérer. C’est dans cet esprit que nous avons lancé les Chantiers d’avenir. L’idée était simple, mais essentielle : permettre à ces jeunes de retrouver leur place dans la société par le travail, en participant à des projets concrets, encadrés et valorisants. Derrière chaque visage, il y avait une histoire douloureuse : des échecs scolaires, des parcours familiaux brisés, des cicatrices invisibles. Je découvrais à quel point ces épreuves avaient pu les priver de perspectives au point de leur faire tourner le dos à la vie active.
C’est à ce moment que j’ai réalisé que certains d’entre eux ne savaient ni lire ni écrire. Cette confrontation à l’analphabétisme en France constituait une nouvelle prise de conscience — brutale, mais salutaire. Et pourtant, quelle fierté de voir certains relever la tête, retrouver confiance et découvrir des métiers qui les passionnaient ! Une simple main tendue avait rendu cela possible.
Redonner vie au commerce de centre-ville
Le commerce de centre-ville était pour moi un enjeu majeur. Une ville qui se vide de ses commerces, ce sont des rues qui perdent leur âme et des habitants qui se sentent abandonnés. J’ai voulu inverser cette tendance, en travaillant main dans la main avec les acteurs locaux et en allant chercher, avec eux, de nouvelles enseignes pour redonner du souffle à Laval.
Peu à peu, les résultats ont été au rendez-vous. Nous avons réussi à capter des enseignes nationales, mais aussi à encourager l’installation de commerçants indépendants. Et bientôt, un constat s’est imposé avec évidence : les cellules commerciales vides se comptaient sur les doigts d’une main.
Marcher dans le centre-ville et voir toutes ces vitrines animées fut pour moi une immense fierté. Ce n’était pas seulement du commerce : c’était la vie qui revenait, un centre-ville qui redevenait attractif, des habitants qui reprenaient goût à flâner dans leurs rues et à consommer localement.
Le marché des Lumières : redonner une âme au Laval historique
Laval est une ville qui a toujours su se parer de lumière. Les illuminations, lancées des années plus tôt par François d’Aubert, avaient déjà donné à la ville une réputation rayonnante bien au-delà de ses frontières. J’ai voulu prolonger et enrichir cet héritage en créant le Marché des Lumières.
L’idée était simple mais forte : compléter le marché de Noël par un rendez-vous unique, qui, le temps d’un week-end de décembre, faisait revivre le Laval historique. Sur la place des Acacias, nichée entre les vieilles pierres et les passages du Centre, nous avons accueilli des artisans d’art, venus de toute la région. Ils proposaient leur savoir-faire et redonnaient à la ville son âme originelle.
Ce fut un franc succès dès la première édition. Les Lavallois s’y rendaient en famille, les visiteurs affluaient de tout le département, et parfois de plus loin. Plus qu’un marché, c’était une véritable expérience sensorielle et patrimoniale : une rencontre entre tradition et modernité, entre commerce et culture.
Ces années furent un tourbillon. J’avais envie de soulever des montagnes, et je trouvais chaque fois l’énergie de le faire, portée par une conviction intime : nous n’avions pas le droit de décevoir les Lavallois. Ils nous avaient fait confiance, et je leur devais en retour d’être à la hauteur.
En décembre 2015, quelques mois à peine après avoir contribué à la transformation de Laval, un nouvel événement impactait notre majorité municipale. Aux côtés de Bruno Retailleau, nous remportions les élections régionales. Me voilà propulsée vice-présidente de la Région des Pays de la Loire. Cette fonction élargissait mon horizon et mes responsabilités : je n’étais plus seulement au service des Lavallois, mais de tous les Ligériens. Pour autant, je n’ai jamais oublié ce que je devais aux Lavallois. Au contraire, je voyais dans ce nouveau mandat une opportunité unique d’accélérer les projets de Laval et de la Mayenne.
Très vite, j’ai eu à cœur de suivre de près les grands projets qui allaient façonner durablement l’avenir de Laval :
Être vice-présidente de Région m’a donné les moyens d’agir. Mais plus encore, ce fut l’occasion de confirmer aux Lavallois et aux Mayennais que leur confiance n’avait pas été vaine : que chaque bataille menée, chaque décision prise avait un objectif clair — donner à notre territoire la place et les moyens qu’il mérite.
En 2012, au lendemain de ma première candidature législative, j’avais pris un engagement clair auprès des habitants de la première circonscription : nous nous reverrions en 2017. Cette promesse, je l’avais gardée en moi comme un fil conducteur, un rappel que, malgré la défaite, je ne renonçais pas. J’étais convaincue que la confiance se construisait dans la durée et que l’on doit aux citoyens la constance, même dans l’adversité.
Cinq ans plus tard, l’heure était venue de tenir parole. Mais la campagne législative de 2017 fut sans doute l’une des plus éprouvantes de mon parcours. Elle s’inscrivait dans un climat politique instable, entaché par une présidentielle secouée de scandales, des affaires à répétition, et un paysage partisan en pleine recomposition. La droite sortait affaiblie, fracturée, et la vague de renouvellement promise par Emmanuel Macron emportait tout sur son passage.
A ce contexte déjà tendu vint s’ajouter la division locale. Certaines personnes, que j’avais moi-même encouragées à s’engager, choisirent de faire passer leurs ambitions personnelles avant l’intérêt commun du groupe, croyant que la victoire pouvait se construire dans la rupture plutôt que dans l’unité. Je découvris alors à quel point la politique pouvait être cruelle, et combien des trahisons souvent silencieuses suffisent à ébranler un édifice patiemment construit.
La sanction fut immédiate : je fus écartée dès le premier tour. Cette défaite avait un goût particulier ; elle ne tenait pas seulement à l’effondrement de mon camp au niveau national, mais aussi à des dissensions locales, à des trahisons qui avaient fracturé une dynamique collective.
De retour à la mairie, je ressentis comme un basculement, une désillusion. Moi qui, depuis 2008, avais vécu dans une bulle faite de responsabilités, de projets et d’engagement, je commençais à douter. Je me demandais si je n’étais pas en train de me perdre, si mes idéaux et mes valeurs pouvaient encore trouver leur place dans un monde politique où l’on sacrifiait parfois l’essentiel sur l’autel des ambitions personnelles. Alors je pris une décision radicale, mais nécessaire : démissionner de mon mandat de première adjointe. Ce fut une manière de rester alignée avec moi-même, avec mes valeurs, et de ne pas faire semblant. Cette décision s’imposa presque d’elle-même. Un matin, je me réveillai avec les mots de mon communiqué déjà rédigés dans mon esprit, comme si mon inconscient avait trouvé le courage avant moi — celui de prendre la seule décision qui me permettait de préserver l’essentiel.
Certains m’ont alors mise en garde : « Tu n’as pas peur que les Lavallois t’oublient ? On ne démissionne pas d’un poste de première adjointe. » Je leur ai répondu que si les Lavallois m’oubliaient, c’est que je n’étais pas à la hauteur de leurs espérances. Mais au fond, je savais que la mémoire des gens ne s’efface pas si vite lorsque l’on a semé des graines sincères.
Les nombreux messages que je reçus dans les jours suivants — venant de tous horizons, y compris de sympathisants de gauche — furent un baume pour mon cœur. Ils me rappelaient que mon parcours ne se résumait pas à une fonction, mais à un engagement humain. Celui-ci, jusque-là nourri d’une énergie inébranlable, se trouvait mis à rude épreuve. Je voyais mon parti s’enliser dans des querelles intestines, s’éloignant de ce qui, à mes yeux, faisait le sens même de l’engagement politique : servir les citoyens avant tout.
Je suis allée au bout de mon mandat de présidente de fédération, par fidélité aux militants qui m’avaient fait confiance. Mais, une fois ce mandat achevé, j’ai pris la décision de me retirer du parti. Ce n’était pas un renoncement, encore moins un désaveu de mes convictions : c’est le doute, intime et douloureux, qui m’a soufflé qu’il était temps de m’éloigner pour ne pas trahir mes propres valeurs.
Je ne savais pas ce que me réserverait l’avenir, mais je savais que j’avais pris la bonne décision. J’avais besoin de prendre du recul, de me recentrer, d’écouter à nouveau les chants des oiseaux que j’avais cessé d’entendre, pour ne pas m’oublier. C’est ainsi que, jusqu’en 2020, je consacrai mon engagement politique exclusivement à la Région, poursuivant mon implication pour Laval et la Mayenne sous un autre angle, mais avec la même fidélité.
À l’approche des élections municipales de 2020, une onde de choc traversa Laval : François Zocchetto, maire sortant, annonça son retrait de la course. En décembre 2019, il expliqua qu’il avait été la cible d’une campagne calomnieuse, orchestrée par ses opposants, qui visait moins à débattre qu’à l’anéantir politiquement et personnellement. Ce choix de se retirer, pour protéger sa famille et préserver la sérénité de la campagne, suscita en moi une grande tristesse, mais fut aussi une révélation sur la brutalité du monde politique.
Je choisis alors de revenir. D’abord pour accompagner Didier Pillon, qui reprenait la tête de la liste dans l’urgence, mais aussi parce que les méthodes employées par ses adversaires en disaient long sur la nature de leurs intentions : gagner coûte que coûte, quitte à détruire un homme et sa famille.
Quelques semaines après le lancement officiel de la campagne, le COVID-19 surgit et bouleversa tout. Les premiers cas, l’angoisse croissante, les gestes barrières… puis le confinement. Jamais une campagne électorale n’avait été vécue dans de telles conditions. Impossible d’aller au contact direct des électeurs, impossible de tenir des réunions publiques, impossible de serrer des mains, ces gestes simples qui font l’essence d’une campagne.
Le premier tour, maintenu de justesse en mars 2020, se tint dans une ambiance anxiogène, avec un taux d’abstention record. De nombreux électeurs, par peur du virus, ne firent pas le déplacement. Pourtant, au premier tour, notre liste arriva en tête avec 40,82 % des suffrages. Ce résultat montrait que les Lavallois nous faisaient encore confiance. Mais ce succès partiel ne calma pas les attaques. Bien au contraire, malgré le retrait de François Zocchetto, les affichettes préparées contre lui continuèrent à fleurir jusque sur les panneaux officiels, comme si ses adversaires voulaient absolument liquider le stock prévu pour toute la campagne... La virulence ne faiblissait pas, elle semblait même redoubler, preuve que certains avaient choisi de prioriser la calomnie sur le débat.
Nous ne nous battions pas à armes égales. Là où nous nous fixions des lignes rouges, des règles, un cadre éthique à ne pas franchir, nos adversaires, eux, n’en respectaient aucune. Leur acharnement ne relevait plus du débat démocratique, mais d’une stratégie sans scrupules pour conquérir le pouvoir. Paradoxalement, plus leurs attaques s’intensifiaient, plus je retrouvais la foi de mes débuts. Chaque coup bas renforçait ma détermination à me battre pour mes concitoyens. Je savais qu’il fallait faire autrement, que les femmes et les hommes politiques ne devaient jamais céder à la facilité pour gagner une élection, bien au contraire, ils devaient s’efforcer de rester fidèles à une exigence de droiture républicaine.
Entre les deux tours, l’épidémie s’intensifia, plongeant le pays dans une sidération collective. Plus que des débats politiques, les Français attendaient des réponses sanitaires et une protection immédiate. Dans ce contexte si particulier, où la campagne fut reléguée au second plan derrière l’urgence sanitaire et où le débat n’était pas à la hauteur des enjeux, nous perdîmes l’élection. Une défaite qui signa mon retour dans l’opposition, avec la certitude qu’en politique, les combats se gagnent et se perdent, mais que l’essentiel est de rester fidèle à ses valeurs.
Après mon retour au conseil municipal de Laval en 2020, que je vécus comme un retour aux sources malgré la défaite, un nouveau cycle électoral s’initia avec les élections régionales de 2021.
J’étais déjà vice-présidente de la Région Pays de la Loire depuis le précédent mandat, mais les responsabilités qui me furent confiées après la victoire de Christelle Morançais en 2021 marquèrent un véritable tournant. Mon portefeuille s’élargit considérablement : enseignement supérieur, recherche, innovation et export. Des domaines qui ne doivent rien au hasard : ils résonnent profondément avec mon parcours d’enseignant-chercheur, mon attachement à la jeunesse et ma conviction que l’avenir d’un territoire se construit par sa capacité à innover et à s’ouvrir au monde. Ce portefeuille représentait pour moi une consécration et une immense responsabilité. Il s’agissait non seulement de soutenir les filières d’excellence de la région, mais aussi de donner à chaque jeune, chaque entreprise, chaque chercheur, l’opportunité de trouver sa place dans un monde en mutation rapide.
J’avais à cœur que ce mandat soit utile, même en siégeant parallèlement dans l’opposition municipale. Je voulais démontrer que l’on peut continuer à agir pour son territoire au-delà des étiquettes politiques, avec constance et loyauté.
Sur la question de l’enseignement supérieur, je me suis inscrite dans la continuité d’une ambition portée dès les années 1990 par François d’Aubert, qui avait compris, bien avant beaucoup d’autres, que le développement de Laval passerait par l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur de qualité. Il avait jeté les bases de cette stratégie en attirant de premières écoles et en inscrivant Laval dans une dynamique de modernité.
J’ai voulu poursuivre et amplifier cette vision. Avec la Région, nous avons soutenu massivement l’ESTACA, consolidé la présence de l’UCO, lancé la réflexion sur l’extension du restaurant universitaire et porté la création d’une véritable Maison des étudiants. Autant de projets concrets qui ne sont pas de simples équipements, mais des signaux forts envoyés à la jeunesse : ici, en Mayenne, vous pouvez étudier, réussir, et construire votre avenir.
En parallèle, j’ai veillé à renforcer notre action en faveur de l’économie locale, en particulier dans une période rythmée par les chocs successifs du Covid. Durant ces mois d’incertitude, il fallait soutenir les entreprises fragilisées, accompagner les transitions, et surtout maintenir la confiance. Je me suis attachée à nouer un lien étroit avec les élus du territoire et les acteurs économiques, convaincue qu’ensemble, nous pouvions éviter le pire et préparer la relance.
Cette proximité m’a permis de mesurer combien la Mayenne regorge d’initiatives, d’entrepreneurs et de forces vives qui ne demandent qu’à être accompagnées pour déployer tout leur potentiel. Mon rôle était d’être un relais et un catalyseur, pour faire remonter leurs besoins à la Région et traduire nos ambitions en actes concrets.
Mais mon engagement ne s’est pas limité à la sphère institutionnelle. J’ai toujours eu la conviction que l’action publique gagne en force lorsqu’elle se nourrit de la société civile. C’est dans cet esprit qu’en 2023, j’ai lancé l’association « Innovons, la Mayenne en action ».
Cette initiative est née d’une double envie : mettre en lumière les talents mayennais et créer un réseau dynamique autour de l’innovation. La Mayenne regorge d’hommes et de femmes qui, souvent dans l’ombre, inventent, créent, transforment leur environnement par leurs idées et leurs projets. Il me semblait essentiel de leur offrir une vitrine, un espace d’échange et de valorisation.
Au travers de l’association, j’ai voulu ouvrir l’accès au réseau que j’ai eu la chance de constituer durant toutes ces années d’engagement, aussi bien à Laval qu’à l’échelle régionale et nationale. Un réseau de décideurs, de chercheurs, d’entrepreneurs, d’élus, mais aussi de bénévoles passionnés, qui croient en la force du collectif. Partager ce réseau, c’était pour moi une manière de rendre ce que j’avais reçu : des portes qu’on m’a ouvertes, des rencontres qui m’ont fait grandir, des soutiens qui m’ont permis d’oser. Trop souvent, les talents existent mais se heurtent à l’isolement. Or, je sais d’expérience qu’une rencontre peut changer un destin, qu’un coup de pouce peut transformer une idée en projet concret.
Ainsi, avec quelques amis, nous avons voulu créer un lieu de rencontres intergénérationnelles et interdisciplinaires, où entrepreneurs, enseignants, chercheurs, étudiants et citoyens curieux peuvent partager leurs expériences et faire émerger de nouvelles synergies. Car l’innovation, je le crois profondément, n’est pas seulement technologique : elle est aussi sociale, culturelle, citoyenne. Elle naît du croisement des parcours et du dialogue des idées.
« Innovons, la Mayenne en action » est devenue pour moi un complément naturel à mes responsabilités régionales : une manière de prolonger, dans un cadre plus libre et participatif, cette ambition de faire rayonner notre département. En mettant en avant les initiatives locales, nous faisons la démonstration que la Mayenne n’est pas en marge, mais au contraire au cœur des transformations contemporaines.
Mais pour continuer à donner, il me fallait aussi continuer à apprendre. C’est pourquoi, en parallèle de mes activités, j’ai repris le chemin des études. J’ai retrouvé les bancs de l’École de Management de Lyon (EML) pour renforcer mes compétences en tant qu’administratrice de sociétés et d’associations. Puis, Sciences Po m’a permis d’approfondir mes connaissances en gouvernance publique. Enfin, j’ai rejoint l’Institut Supérieur de l’Environnement (ISE) pour me former à un domaine devenu essentiel dans nos sociétés : la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), que je développe également auprès de mes étudiants à l’IUT. Retrouver une carte étudiante m’a fait sourire. Mais au fond, ce n’était pas anodin. C’était la preuve que ma soif d’apprendre, née sur les bancs exigus de mon école publique marocaine, ne m’avait jamais quittée. De l’enfant d’Oujda qui levait la main avec timidité à l’adulte investie dans sa cité, il y a ce fil rouge : la certitude que l’on grandit sans cesse grâce au savoir, et que c’est sans doute la plus belle des libertés.
Être mère de trois filles a façonné ma vie au moins autant que mes engagements professionnels et politiques. Elles sont, à bien des égards, le miroir le plus exigeant de mes convictions. Il faut que les paroles soient cohérentes avec les actes, que les valeurs prônées dans l’éducation trouvent leur traduction dans la manière de vivre et de s’engager. Mes combats politiques n’ont de sens que parce qu’ils s'inscrivent dans une logique de transmission. Cette conviction prend sa source dans le regard de mes enfants et s’élargit naturellement à toute la jeunesse, à ces générations qui viendront après nous. Éduquer ses propres enfants, c’est déjà participer à la construction de la société. Je n’ai jamais envisagé cette mission comme cantonnée à mon cercle familial. J’ai toujours senti que ce que je transmettais à mes filles devait être, à une autre échelle, ce que la société devait transmettre à sa jeunesse. À l’IUT de Laval, au contact des étudiants, j’ai retrouvé cette même responsabilité : élargir les horizons, donner des outils, montrer qu’avec du travail, chacun peut trouver sa place. L’école, le sport et la culture sont, à mes yeux, les trois piliers de cette transmission : l’école, parce qu’elle garantit l’égalité des chances ; le sport, parce qu’il apprend l’effort, l’esprit d’équipe, le dépassement de soi ; la culture, parce qu’elle éveille l’esprit critique, nourrit l’imaginaire et renforce la liberté intérieure.
La jeunesse est donc au cœur de mes combats. Si je me suis engagée en politique, c’est aussi pour être fidèle à cette idée : une société qui n’offre pas de perspectives à sa jeunesse se condamne elle-même. À Laval, je vois des jeunes brillants, créatifs, passionnés, mais aussi des parcours brisés par le manque d’opportunités, le poids des inégalités ou l’absence de repères. Je veux que cette ville soit un terreau fertile pour chacun d’eux, et cela passe par la mise en œuvre des politiques municipales qui donnent confiance aux jeunes, qui les impliquent et qui reconnaissent leur énergie comme une force pour la cité.
Rien n’a été simple dans mon parcours. Je connais les chemins escarpés, les doutes, les obstacles qui, parfois, se dressent comme des murs infranchissables. Mais je sais aussi qu’avec de la persévérance, ils peuvent conduire aux plus belles aventures.
Écrire ces pages m’a permis de revisiter un chemin de vie singulier : de l’enfance à Oujda aux salles de cours de l’IUT de Laval, des épreuves personnelles aux responsabilités publiques, des premières racines familiales aux ailes que la France m’a permis de déployer. À travers toutes ces étapes, une conviction n’a cessé de grandir : l’essentiel ne réside pas dans ce que l’on possède, mais dans ce que l’on porte pour les autres.
Mon parcours m’a forgé une colonne vertébrale faite de valeurs solides :
Ces valeurs sont mon fil conducteur, mon cap. Je ne mène pas mes combats pour une réussite personnelle. Je les mène pour qu’ici, personne ne soit contraint de renoncer, faute de moyens, de sécurité ou de confiance.
Pour que Laval soit une ville où le mérite est reconnu, la dignité respectée, l’avenir rendu possible.
Car une ville, comme une vie, ne se construit pas seule : elle se bâtit ensemble, avec courage, avec loyauté, et avec amour.
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Quelques semaines après cette première rencontre professionnelle, je reçus un coup de fil surprenant : François d’Aubert souhaitait me revoir. J’imaginais qu’il voulait évoquer la suite de nos échanges autour de la recherche. Il n’en était rien.